blues.2

C’est le chant de l’homme dont on a monstrueusement nié l’humanité, que l’on a réduit à l’esclavage, insulté, privé de tout, c’est le chant de l’enfant d’Afrique,  né au Sénégal ou en Ouganda, au Libéria ou au Soudan, que l’on a enchaîné pour en faire une bête de somme dans le Delta du Mississipi. Ma définition de ce chant est viscérale et peu académique donc pour en parler je fais appel à mes tripes plus qu’à  l’encyclopédie. Oh oui ! Sûr que c’est une musique du manque ! J’en ai déjà parlé ici-même : http://wp.me/p62Hi-2l8 .

diddley bow et fifes

Le Blues …Un chant du  pauvre ? Oui, comme en  témoigne cet instrument  ancêtre de la guitare Blues, le ‘’diddley bow’’  qui avec la ‘’fife’’, pipeau de roseau,  étaient les seuls instruments qu’un esclave noir américain pouvait se permettre.   Retrouvons-le dans une chanson au titre on ne peut plus évocateur. A signaler que le ‘’diddley bow’’ qui apparait ici est une forme modernisée de celui dont je parle…

Le chanteur s’appelle ‘’One String Sam’’ et la chanson ‘’I need a hundred dollars’’ … Le matériel est pauvre car le chanteur est pauvre …

Cela me rappelle les quartiers pauvres de toutes les mégapoles que je connais : Johannesburg, Lagos, Casablanca et tant d’autres ou des enfants démunis fabriquent leurs instruments de musique et en jouent à longueur de temps …

Seconde illustration, ce très rare morceau d’Othar Turner à la fife… Le morceau s’intitule sobrement Station Blues. Ce sont là les premiers vagissements du Blues …

La troisième illustration sonore proposée est ce très émouvant ‘’Born for hard luck’’, que l’on pourrait traduire par ‘’Né pour un triste destin’’ – pour faire un clin d’œil à Aragon … Le chanteur, (?) le récitant (?) est Peg Leg Sam Jackson,

Oh oui ! A l’origine, le Blues est un chant d’esclaves partageant leur peine, leurs chants sont des « worksongs » destinés à donner courage et cœur à l’ouvrage. Les  paroles  cachent souvent leur révolte, car lorsqu’elles étaient décryptées leur valaient le fouet  des négriers ou des gardes-chiourmes des grandes exploitations.

En exemple, écoutons Jimpson et des bucherons dans ce magnifique

‘’No more My Lord’’

No more, no more
No more, no more
And I’ll never turn back no more.
Jesus, He’s the one
He’s the one I’m looking for

Il s’agit bien sûr d’un terrible cri de désespoir puisqu’il dit en termes à peine voilés que le chanteur préfère la mort à son état.

Et cet autre cri ? … ‘’Early in the mornin’’

Ce n’est que longtemps après l’abolition (juridique) de l’esclavage que le  Blues  déborde  du Mississipi,  peu après la seconde guerre mondiale et s’enrichit d’instruments divers, de micros et d’amplis et le message est désormais enregistré et diffusé par les radios … Est-il nécessaire de rappeler que si l’esclavage n’existait plus aux yeux de la Loi, la ségrégation battait toujours son plein et valait à peine mieux pour les Noirs ?

De cette époque , écoutons donc le surpuissant Howlin Wolf, ici dans ‘’How Many more years’’

Mais non, voyons ! Le Blues n’est pas que chant d’hommes ! La preuve éclatante : Memphis Minnie. Elle joue de la guitare et chante dans ce ‘’Poor and Wandering Woman’’

A cette époque, le moindre talent musical était exploité par l’industrie du disque  en plein essor dans une Amérique enfin décomplexée de son passé esclavagiste peu glorieux…  Les bluesmen sont exploités jusqu’à la rupture de leurs ‘’cordes vocales’’ et si certains arrivent à connaître la gloire, l’écrasante majorité retrouve quasiment les pressions psychologiques des travaux des champs …

La thématique change … les problèmes essentiels cèdent le pas aux problèmes existentiels, l’amour, l’abandon, la rupture, l’argent … Baby Please don’t go , Ain’t got no money , My baby is gone

La meilleure illustration possible est ce grand classique de ‘’Baby please don’t go’’ , chanté par l’étrange John Lightin’ Hopkins

Les plus grands standards sont peu à peu repris par les chanteuses et chanteurs de toutes les couleurs… Etre Bluesman n’est plus être noir, mais juste inspiré ou … aspiré … par le diable bleu, le ‘’Blue Devil’’ qui donna à l’origine son nom au Blues …

A ce propos, écoutons le groupe Aerosmith, groupe de rock américain formé dans les années 70… justement dans ce ‘’Baby Please don’t go’’

Certaines audaces iront plus loin encore et métissent le Blues avec tous les genres… A titre d’exemple, voici les excellents ZZ TOP dans le célébrissime ‘’La Grange  Blues rock’’  …

Et pourquoi arrêter en si bon chemin … Imaginez Luciano Pavarotti et B.B. King ! … Ben oui, cela s’est fait ! Ils ont chanté ensembles ‘’The Thrill es Gone’’

Le jour de ce concert, deux hommes ont peut-être donné un sens nouveau à la musique. Le Blues et le Chant Lyrique se sont rencontrés pour dire que par-delà les différences ethniques, géographiques et culturelles, les hommes sont semblables et que la musique leur permet de transcender toutes les infamantes choses qui ont été si souvent prétextes à la haine, à la violence, à la bêtise et la barbarie…

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