Baiser

Autant l’on peut comprendre que, de natura rerum certains raccordements de plomberie soient nécessaires pour émettre et recevoir les petites graines et les flux vitaux, créateurs de plaisir et de progéniture, autant, objectivement, en apparence tout au moins, on peine à comprendre cette invention dont Jonathan Swift a dit :

 » Seigneur ! Je me demande quel imbécile a inventé le baiser. »

Il y aurait assurément beaucoup moins de plombiers et de plombières si l’on savait  qu’au plan physiologique,ces raccordements inutiles entre deux individus s’embrassant leur permettent surtout d’échanger en moyenne 40 000 parasites, 250 types de bactéries, 9 mg d’eau, 0,7 g d’albumine, 0,45 mg de sel, 0,711 mg de graisses, 0,18 g de matières organiques et de dépenser quatre calories par minute. Leur fréquence cardiaque peut doubler et ce ne sont pas moins de 34 de leurs muscles qui sont sollicités lors de l’opération de transfusion de toutes ces matières.

Même l’inoffensif baiser sur la joue est en fait une gymnastique épuisante puisqu’il exige l’activation de 12 muscles faciaux.

Mais à part ces statistiques amusantes, le baiser sur la bouche peut présenter des inconvénients physiques réels :

’’ Certaines réactions désagréables peuvent être provoquées par les baisers comme un œdème des lèvres, de l’urticaire, du prurit, etc. La responsable est la salive qui transmet un aliment ou un médicament allergène à l’autre… Ces réactions sont plus fréquentes qu’on ne le pense. Elles peuvent apparaître en quelques secondes et jusqu’à six heures après un baiser amoureux.’’ http://fr.wikipedia.org/wiki/Baiser

Dernier point préalable, de savantissimes chercheurs – de quoi, mon Dieu ?- ont calculé qu’un être humain normal donne et reçoit plus de 1 500 baisers par an. En ramenant ce chiffre à une moyenne journalière, on voit bien que ce n’est vraiment pas de l’obsession. La longueur moyenne d’un baiser varie selon le type du baiser échangé, mais cela fait, de toute façon, beaucoup de temps passé à cette activité aussi inutile que peu hygiénique.

Alors pour essayer de ramener tout le monde à la raison, je suggère à chacune et chacun de se remémorer – si possible – tous les récipiendaires de ses baisers et de s’avouer honnêtement si, si c’était à refaire, il procéderait à nouveau à ce troc de matières premières.

Mais d’où vient donc ce curieux commerce ?

la becquée

 

Chez les oiseaux, la maman et le papa rapportent à leurs oisillons la nourriture et la leur déposent dans le bec avec leur bec. C’est la becquée.

chacal

Le chacal est un redoutable carnassier, comme on le sait. Pour nourrir ses petits, la mère mâche la viande qu’elle régurgite dans la gueule de ses petits dont le système masticatoire n’est pas encore en mesure de hacher menu les délicieuses charognes.

Becquée humaine

L’alimentation de bouche à bouche est pratiquée encore de nos jours par les humains, souvent par choix personnel et quelquefois pour des raisons médicales. Ici ce papa mâche de la nourriture pour ensuite la déposer directement dans la bouche de sa fillette, atteinte d’une maladie rare qui la rend incapable de mastication.

Pendant d’innombrables siècles, la génitrice ou le géniteur mâchaient la nourriture pour la rendre digeste, la réchauffer à température idéale, celle du corps, la goûter, y ajouter les sucs salivaires à même d’en faciliter la digestion avant de la donner à leurs enfants. La pratique peut être considérée comme l’ancêtre du baby-food et des petits pots. Pour ceux qui pourraient – vraiment à tort, s’en offusquer, il suffit d’ouvrir les yeux sur l’écrasante majorité des mères qui, encore de nos jours, donnant à manger à leur nourrissons, échangent avec eux et sans aucun problème, leurs salives et leurs bouchées.

Quoi de plus fort et de plus beau que l’amour d’une mère ? Rien ! C’est pourquoi, dans l’histoire de l’humanité, peu à peu, ce nourrissage bouche-à-bouche est devenu une démonstration d’intérêt et de tendresse. C’est aussi un contrôle médical ! A l’occasion de cette démonstration d’intérêt, on hume l’odeur de l’autre afin de le reconnaître tout en vérifiant donc son état de santé.

baiser klimt

Les humains n’ont d’ailleurs pas le monopole de cette pratique du baiser buccal, puisque on la retrouve pratiquement chez tous les animaux et particulièrement chez les grands singes, chez lesquels elle en arrive à être un simple geste d’amitié. Il n’y a que le salace bonobo qui mette en jeu la langue au cours de ce baiser … Enfin, le bonobo … et l’homme bien sûr …

L’on sait que chez ce sacripant de bonobo, tout est prétexte à galipette puisque ceux de son espèce ont véritablement choisi de ’’faire l’amour, pas la guerre’’. Une tension sociale ? Un différend ? On s’isole, se console, se cajole, et rapidement, on en rigole, et ce, sans respecter aucune règle, aucun tabou, pas même l’obligation d’hétérosexualité !

Soyons sérieux et revenons aux humains !

Nos semblables s’embrassent sur la main, sur le front, sur la joue et sur la bouche pour manifester différentes choses.

baise-main

–      Sur la main : pratiqué de tous temps au Moyen-Orient et dans le Monde Arabe, le baisemain fut introduit en Europe à la fin du Moyen-Âge par les Arabes justement en même temps que tout le concept de ’’l’amour courtois’’. On baise la main d’une dame pour lui présenter ses  hommages.

baiser front

–      Sur le front : selon la sphère culturelle ou il est donné, il signifie la protection, ou au contraire un grand respect. Une petite croustille : dans le monde de la Mafia, le parrain embrasse sur le front les gens qu’il condamne à mort !

baiser joue

–      Sur la joue : là encore, le sens change avec la géographie. Complètement incongru dans la plus grande partie de l’Asie, il marque une légère tendresse ailleurs et il est inconnu en Afrique et dans les sociétés traditionnelles d’Amérique.

baiser bouche

–      Quant au baiser sur la bouche, il n’a pas partout une connotation sexuelle et peut traduire de la tendresse. Il est également inconnu dans la plus grande partie du monde et le dégoût qu’il provoque en certaines contrées est total :

o   Ce dégoût culmine dans les sociétés traditionnelles d’Afrique ou le fait d’embrasser quelqu’un sur la bouche ouverte va jusqu’à signifier qu’on veut lui voler son âme. Il en est de grisants dont on dit qu’ils font chavirer et perdre la raison, mais là, c’est encore plus sérieux.

o   En Asie – à juste titre ?, on le considère comme partie intégrante de l’acte sexuel.

o   En Occident, on le pratique sans problème mais quand on y implique notre organe charnu, musculeux, allongé et mobile, notre langue veux-je dire, il prend certaine nationalité … et devient le … ’’french kiss’’

–       Je ne parlerai d’aucun autre baiser, ni celui dans le cou, ni celui sur les paupières, ni celui appliqué dans tous ces ailleurs qui sont intimes ou carrément mal élevés et dont les divers peuples se rejettent la paternité comme un reproche : Le baiser à la rose, le baiser indien, le baiser allemand, le baiser créole, le baiser japonais, le baiser argentin, le baiser russe, le baiser papillon, le baiser capucine etc. Vous n’avez qu’à en chercher les définitions si cela vous intéresse.

Comment exprime-t-on ces mêmes choses dans les sociétés qui ne pratiquent pas le baiser buccal ?

baiser esquimau

Tout juste dirai-je que toutes les fonctions érotiques liées au baiser sont regroupées sous une autre forme, sous les cieux glaciaux et purs du septentrion.  Le baiser esquimau … :

’’ … un bisou esquimau est un baiser dans lequel les nez des deux personnes sont pressés l’un contre l’autre. Ce baiser est vaguement basé sur la forme traditionnelle de salut Inuit appelée kunik.

Le kunik est une forme d’expression d’affection, habituellement entre membres de la même famille ou amants, qui consiste à presser le nez et la lèvre supérieure contre la peau – habituellement les joues ou le front, et à aspirer. Une erreur répandue est de dire que cette pratique est apparue car un baiser occidental ferait geler entre elles les bouches des Inuits. En fait c’est une forme de salut non érotique qui sert dans un contexte intime à deux personnes pour se saluer à un moment où presque seuls leur nez et leurs yeux sont exposés.

Lorsque les premiers explorateurs de l’arctique découvrent ce geste ils le surnomment baiser d’esquimau. Dans son usage occidental, ce baiser consiste pour deux personne à frotter leurs nez l’un contre l’autre …

 D’autres saluts de différentes cultures sont semblables, par exemple l’hongi des Maoris de Nouvelle-Zélande ou le salut des nomades Mongoles du désert de Gobi ainsi que les saluts de certaines cultures d’Asie du Sud-Est comme les Bengalis, les Cambodgiens, les Laotiens, les Thaïs et les Ibans. Le frottement du nez est (également) utilisé par des tribus yéménites.’’  http://fr.wikipedia.org/wiki/Bisou_esquimau

’’Baiser, cette soudure de deux tubes digestifs.’’ Albert Cohen

Besame Mucho par Consuelo Velasquez, (version originale)

Bon, maintenant que nous avons rompu les os du baiser sur la bouche, donnons la parole à la défense ! Figurez-vous qu’une science nouvelle est apparue pour ce faire et elle se nomme la philamatologie : la science du baiser précisément ! Cette science s’envolerait même, selon le journaliste scientifique Achille Weinberg.

’’ Les psychologues ont découvert qu’un baiser chamboule les hormones : non content de calmer le stress, il augmente la confiance… Mais moins chez les femmes !…

Après force mesures et comparaisons, elle –cette science- aboutit à ce constat : un baiser romantique – avec ou sans la langue, produit des effets mesurables sur la production d’hormones. Tout d’abord il réduit le taux de cortisol, l’hormone du stress.

Première conclusion donc : un baiser fait baisser le stress…

Seconde constatation : lors du baiser, le niveau d’ocytocine, une hormone connue pour intervenir sur la confiance et les relations sociales, augmente (*). Mais surtout chez les hommes ! Allez savoir pourquoi ? Chez les femmes, une atmosphère romantique – lumière douce, musique d’ambiance, doit s’ajouter au baiser pour que le niveau d’ocytocine grimpe aussi haut que chez l’homme…

Dernier enseignement : selon les chercheurs, la qualité du premier baiser et la façon dont il est perçu par les protagonistes préjugent bien de la suite à donner. Le baiser serait une bonne façon d’appréhender la qualité et la compatibilité du partenaire.

La philamatologie – science du baiser, progresse à grands pas. Historiens et anthropologues ne sont d’ailleurs pas en reste ; ils apportent également leur contribution à cette nouvelle et remarquable science. Selon l’historien qui a étudié les rituels du baiser au Moyen Age – notamment le rituel du ’’baiser de la paix’’, prôné par l’Eglise, le baiser a aussi une histoire. Il s’inscrit dans des schémas sociaux très codifiés. Selon lui, sa ’’privatisation’’ et son ’’érotisation’’ seraient récentes dans l’histoire : elles seraient intervenues au 18ème siècle en Occident.

Histoire, anthropologie, neurobiologie : la science du baiser progresse à grand pas. Les débouchés pratiques devraient suivre…’’

http://le-cercle-psy.scienceshumaines.com/la-science-du-baiser_sh_23537

 

(*) lire à ce sujet sur ’’mosalyo’’ ’’Ocytocine Chérie’’ http://wp.me/p62Hi-hp

’’Un baiser est un tour délicieux conçu par la nature pour couper le parole quand les mots deviennent superflus. ’’Ingrid Bergman

Besame Mucho par Cesaria Evora

Quant à moi, je doute fort de la validité de cette date par trop  récente… Si c’était le cas, que désignerait donc l’invitation explicite de Louise Labbé, poétesse qui vécut de 1524 à 1566, dans ce magnifique poème ?

Baise m’encor, rebaise-moi et baise’’ ?

Baise m’encor, rebaise-moi et baise ;
Donne m’en un de tes plus savoureux,
Donne m’en un de tes plus amoureux :
Je t’en rendrai quatre plus chauds que braise.

Las ! te plains-tu ? Çà, que ce mal j’apaise,
En t’en donnant dix autres doucereux.
Ainsi, mêlant nos baisers tant heureux,
Jouissons-nous l’un de l’autre à notre aise.

Lors double vie à chacun en suivra.
Chacun en soi et son ami vivra.
Permets m’Amour penser quelque folie :

Toujours suis mal, vivant discrètement,
Et ne me puis donner contentement
Si hors de moi ne fais quelque saillie.

Besame Mucho par Andrea Bocelli

Le cantique

 

Que signifieraient également le verset 2 du chapitre 1er du merveilleux Cantique des Cantiques de la Bible ou l’on peut lire : ’’Qu’il me baise des baisers de sa bouche ! Car tes baisers sont meilleurs que le vin’’

’’L’amour humain ne se distingue du rut stupide des animaux que par deux fonctions divines : la caresse et le baiser »  Pierre Louÿs

Besame Mucho par Luciano Pavarotti

Eraste

Les Grecs de l’ère classique avaient établi une véritable institution morale et éducative autour de la pédérastie qui constituait à l’origine la relation particulière entre un homme d’âge mur et un jeune préadolescent. Les femmes étaient alors cantonnées dans le rôle de reproductrices et l’amour charnel se pratiquait entre hommes, ce qui vaut à ce jour aux descendants de cette peuplade, une réputation sulfureuse indestructible. Les représentations graphiques de cette ’’tendance’’ sont innombrables et l’une des plus connues est celle qui figure sur cette coupe attique du Vème siècle av. J.-C., actuellement au musée du Louvre, et représentant Eraste – l’adulte, et Eromène – le préadolescent, échangeant un baiser buccal…

’’Un baiser, qu’est-ce ? Un serment fait d’un peu plus près, un aveu qui veut se confirmer, un point rose qu’on met sur l’i du verbe aimer; c’est un secret qui prend la bouche pour l’oreille. »   Edmond Rostand in Cyrano de Bergerac

Besame Mucho par Josephine Baker

En fait, ’’Le premier baiser sur les lèvres est mentionné dans la littérature indienne d’environ 1500 av. J.-C. Des textes védiques décrivent des amants qui « posent leur bouche l’une contre l’autre », comment un « jeune seigneur de la maison lèche souvent la jeune femme » ou une pratique qui consiste à se humer avec la bouche. …

Historiquement, l’invention du baiser amoureux prend sa source chez les Romains. En effet, ceux-ci avaient copié une pratique exécutée par les abeilles. Ils avaient constaté que ces insectes multipliaient les contacts mandibulaires et ont pensé qu’il s’agissait là d’une marque d’affection, s’empressant de faire de même. Or, ce qu’ils avaient pris pour une marque d’affection n’était en réalité qu’un simple échange de nourriture…’’

http://le-cercle-psy.scienceshumaines.com/la-science-du-baiser_sh_23537

Besame Mucho par Placido Domingo

’’ (Pour) … la psychanalyse, le baiser est perçu comme un héritage du stade oral qui se tient au cours de l’enfance. La bouche fait figure d’organe sexuel. Le nourrisson tête pour se nourrir, et la succion liée à la satisfaction de ce besoin vital va alors induire du plaisir, par étayage. Le baiser est donc un moyen de revivre fantasmatiquement à l’âge adulte le plaisir de succion du sein maternel.’’ http://fr.wikipedia.org/wiki/Baiser

baiser le plus long

 ’’Le baiser le plus long du monde’’ est un marathon très sérieux organisé chaque année à l’occasion de la Saint Valentin. Cette année, un couple de Thaïlandais a battu de plusieurs heures le record précédent. Epuisés mais heureux, le garde de sécurité de 44 ans et sa femme de 33 ans, ont été récompensés par un prix de 2.500 euros et deux bagues en diamant. D’après la citation qui suit, le moins qu’on puisse dire est que l’un des deux est une véritable catastrophe …

’’Le baiser sur les lèvres a été inventé par les amants pour ne pas dire de bêtises.’’ Tristan Bernard

Besame Mucho par Nat King Cole

sade-philo

Nous terminerons cette déambulation pas sérieuse du tout à travers baisers, bisous, bises, bécots, poutous, patins, pelles, becs, mimis, minettes, galoches, escalopes et autres saucisses, par ce dont je souhaitais – en vain – pouvoir éviter l’évocation : certain glissement sémantique du mot baiser…

Il est devenu verbe, suite aux agissements coupable du ’’Satanique Marquis’’, embastillé au juste titre de la morale publique, dans son ouvrage ’’La Philosophie dans le boudoir ou Les instituteurs immoraux’’ publié en 1795, consistant en ’’Dialogues destinés à l’éducation des jeunes demoiselles’’.

Mais peut-on l’en blâmer puisque ’’baiser’’ vient du bas-latin ’’bassiare’’ qui signifie ’’embrasser’’, ’’étreindre’’ ? On voit bien que les deux significations, l’innocent effleurement de la joue avec les lèvres et l’étreinte sans entrave de corps nus, sont intimement liés…

Les baisers par Pierre Perret

 

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