Xavier de Maistre est le frère du philosophe Joseph de Maistre, qui fut le principal critique des thèses de la Révolution française et du rationalisme du 18ème siècle auquel il oppose le sens commun, la foi et les lois non-écrites. Xavier lui, fut un homme de lettres qui s’engagea dans l’armée, mais, refusant de servir la France républicaine, s’échappa en Russie où après diverses pérégrinations il achèvera sa vie en 1839.

C’est le type même du dilettante, se souciant peu de postérité, paressant 15 ans entre 2 livres. Son chef d’œuvre est  le Voyage autour de ma chambre qui est le récit des 42 jours d’arrêts auxquels il est condamné pour s’être battu en duel.

A la vogue des récits d’aventures et de voyages, Xavier De Maistre oppose l’immobilité la plus complète, grâce à laquelle il peut conjecturer à loisir et donner libre cours à son imagination, systématisant la parodie et le quiproquo.  ‘’Tandis qu’ils décrivent le monde, je vais décrire ma chambre’’, telle sera sa devise. Dans ce livre, le jeu avec le lecteur est perpétuel, d’inversion en contre-pied, de digression en digression, d’antiroman en antivoyage.

Au-delà de ce qu’il partage au moyen de ce récit parodique, on peut voir se profiler le double renouvellement qui constitue la révolution romantique : l’avènement du moi et l’explosion des genres.

Le très grand – même si très contesté critique Sainte-Beuve dira de lui  “Le comte Xavier de Maistre s’est offert à nous comme un de ces hommes dont la rencontre console de bien des mécomptes en littérature et réconcilie doucement avec la nature humaine… On prendrait plaisir et profit à plus d’un de ses jugements naïfs et fins”. (1)

Olivier Smolders est un cinéaste belge connu pour ses courts-métrages sobres, d’une grande rigueur esthétique, souvent en noir et blanc, aux thèmes profonds et morbides comme l’amour en rapport avec la mort, des confessions intimes troublantes, qu’il a réalisés en équipe réduite. Ces films, proches de la nouvelle littéraire, ont reçu de nombreux prix à l’échelle internationale.

Voyage autour de ma chambre est un film immobile ou un cinéaste, retiré dans sa chambre, parle des territoires et des voyages, réels ou imaginaires, qui l’ont fait ou qui l’ont défait. A partir d’images récoltées au fil des années, il s’interroge d’une façon poétique sur la difficulté de chacun à trouver sa juste place dans le monde.

Ce film est considéré comme le chef d’œuvre du cinéaste et a été consacré par huit distinctions internationales. (2)

https://mosalyo.wordpress.com/2010/11/22/du-cote-de-chez-mo

 mo’, qui se prétend ’’amicus humani generis’’ est le servant d’un journal intitulé mosalyo qui est :

  • un ‘’vasistas’’ ouvert sur le monde, un journal qui n’a rien d’intime et sert à consigner les élucubrations d’hurluberlus divers.
  • une bande briguant la lumière, l’information et la culture, avec un cœur gros comme ça, tout plein d’humour et d’affection, enveloppé dans une gaze de pudeur.
  • une bande de Brigands à la Schiller s’efforçant dans la ‘’sphère écrivassière’’ de la cybernétique, tour à tour insensée, pusillanime et outrancière, de peur que l’excès n’y engendre l’ennui
  • un sac d’OS (Ouvriers Spécialisés) qui ont promis d’y tenir chronique et qui sont des nanas et des mecs géniaux, nobles représentants de l’ondoyante diversité humaine.

Dilettante s’il en est, mo’ ne cache pas pour autant ses prétentions philosophiques : il pense avoir un mot à dire, le mot des silencieux qui n’en pensent pas moins et s’arrangent pour le faire savoir… (3)

Lequel de ces 3 personnages renierait-il cet extrait de l’ouvrage du premier d’entre eux, Xavier de Maistre :

’’Ma chambre est située sous le quarante-cinquième degré de latitude, selon les mesures du père Beccaria ; sa direction est du levant au couchant ; elle forme un carré long qui a trente-six pas de tour, en rasant la muraille de bien près. Mon voyage en contiendra cependant davantage car je la traverserai souvent en long et en large ou bien diagonalement, sans suivre de règle ni de méthode. Je ferai même des zigzags, et je parcourrai toutes les lignes possibles en géométrie, si le besoin l’exige. Je n’aime pas les gens qui sont si fort les maîtres de leurs pas et de leurs idées, qui disent : « Aujourd’hui je ferai trois visites j’écrirai quatre lettres, je finirai cet ouvrage que j’ai commencé. » Mon âme est tellement ouverte à toutes sortes d’idées, de goûts et de sentiments ; elle reçoit si avidement tout ce qui se présente !… Et pourquoi refuserait-elle les jouissances qui sont éparses sur le chemin difficile de la vie ? Elles sont si rares, si clairsemées, qu’il faudrait être fou pour ne pas s’arrêter, se détourner même de son chemin, pour cueillir toutes celles qui sont à notre portée. Il n’en est pas de plus attrayante, selon moi, que de suivre ses idées à la piste, comme le chasseur poursuit le gibier, sans affecter de tenir aucune route. Aussi, lorsque je voyage dans ma chambre, je parcours rarement une ligne droite : je vais de ma table vers un tableau qui est placé dans un coin ; de là je pars obliquement pour aller à la porte ; mais, quoique en partant mon intention soit bien de m’y rendre, si je rencontre mon fauteuil en chemin, je ne fais pas de façon, et je m’y arrange tout de suite.

C’est un excellent meuble qu’un fauteuil ; il est surtout de la dernière utilité pour tout homme méditatif. Dans les longues soirées d’hiver, il est quelquefois doux, et toujours prudent de s’y étendre mollement, loin du fracas des assemblées nombreuses. Un bon feu, des livres, des plumes ; que de ressources contre l’ennui ! Et quel plaisir encore d’oublier ses livres et ses plumes pour tisonner son feu, en se livrant à quelque douce méditation, ou en arrangeant quelques rimes pour égayer ses amis ! Les heures glissent alors sur vous, et tombent en silence dans l’éternité, sans vous faire sentir leur triste passage.’’ (4)

Pas mo’ en tout cas !

Pourquoi voyager autour de sa chambre lorsque les millions, les milliards de kilomètres qui zèbrent le vaste monde ne demandent qu’à être foulés et parcourus ? Cette homéopathie de l’action cache-t-elle quelque défaut, quelque travers, quelque manque ?

Troublante ressemblance

Les photos du haut sont des représentations de l’Univers peu après le Big Bang. Celles du bas montrent des agrégats d’atomes se formant après pulvérisation au laser d’éléments métalliques.

So, Nat’ralists observe, a Flea

Hath smaller Fleas on him prey,

And these have smaller yet to bite’em

And so proceed ad infinitum.

 Jonathan Swift, 1733,  On poetry, a Rhapsody

Selon les naturalistes, une puce

Est la proie de puces plus petites qu’elle.

Celles-ci sont piquées de puces plus petites…

Et ainsi de suite, ad infinitum

Infiniment grand et infiniment petit obéissent aux mêmes lois et les mécanismes qui surviennent à l’échelle micrométrique sont les mêmes que ceux qui agissaient à l’échelle cosmique. Cela confirme l’indépendance d’échelle de l’Univers.

Ma poche, mon tiroir et ma chambre sont des ensembles comparables à l’Univers… et chacun de ces ensembles me renseigne sur les autres. Il nous faudrait, dans le cadre d’une dissertation philosophique rigoureuse, examiner les célèbres textes de Blaise Pascal sur les deux infinis, mais puisque chacun les a appris à l’école, nous nous contenterons d’en rappeler les conclusions :

’’Qui se considérera de la sorte s’effrayera de soi-même, et, se considérant soutenu dans la masse que la nature lui a donnée, entre ces deux abîmes de l’infini et du néant, il tremblera dans la vue de ces merveilles; et je crois que sa curiosité, se changeant en admiration, il sera plus disposé à les contempler en silence qu’à les rechercher avec présomption. Car enfin qu’est-ce que l’homme dans la nature ? Un néant à l’égard de l’infini, un tout à l’égard du néant, un milieu entre rien et tout. Infiniment éloigné de comprendre les extrêmes, la fin des choses et leur principe sont pour lui invinciblement cachés dans un secret impénétrable, également incapable de voir le néant d’où il est tiré, et l’infini où il est englouti.’’

Je suis bien d’accord avec Roland Barthes : ’’Le dictionnaire est une machine à rêver’’ et c’est pour cela que mon antre comporte tout un mur tapissé d’innombrables  dictionnaires : Dictionnaire du Coran, dictionnaires des sagesses, des symboles, philosophique de Lalande, encyclopédique d’Universalis, de la mer, de l’art, Kazimirski d’arabe, Oxford d’anglais, Garcia-Pelayo d’espagnol, Domingos de Azevedo de portugais, Giuseppe Padovani d’italien, dictionnaires étymologiques, des noms propres, des prénoms du monde arabe, Quillet de la langue française, Harrap’s d’anglais, de la langue verte, de la gourmandise, de la nourriture, des plantes médicinales, de la bêtise, des bizarres, des citations, des Atlas, historiques ou géographiques et de quelques autres ouvrages… C’est dire si je suis équipé pour voyager jusqu’au fin fond de l’univers ou de moi-même. Je ne saurais me passer de cet appareillage pour vivre puisque comme le dit Anatole France, ’’A bien prendre les choses, le dictionnaire est le livre par excellence : tous les autres livres sont dedans, il ne s’agit plus que de les en tirer’’. Ce n’est une boutade qu’à demi…

Et lorsqu’une certaine grâce s’entrouvre et que j’y puis chiper une phrase bien tournée qui tombe comme un habit de grand faiseur, mon ami Umberto Eco m’encense et me ravit en prétendant, taquin et goguenard que ‘’Tous les grands écrivains sont des grands lecteurs de dictionnaires : ils nagent à travers les mots’’.

Mais dans cet atelier ou de temps à autre l’artisan se prend de grands airs, on trouve également une buvette, un dépurateur d’eau pour éviter l’eau minérale en bouteilles de plastique, et un incroyable capharnaüm de tisanes et de thés de toutes origines et compositions… Là, le Japon, la Chine et l’Inde sont abondamment représentés, mais aussi nos campagnes et leurs richesses …  Le thé vert prédomine cependant et y trône actuellement ma dernière marotte, le voluptueux thé vert Sencha Sayama, du Sud du Japon, dont l’évolution du goût, de la première à la cinquième tasse, ressemble à une véritable séduction. Légère et toute en parfum à la première tasse puis de plus en plus appuyée jusqu’à la cinquième, de laquelle le parfum s’est envolé et dont il ne reste qu’une présence physique envoûtante.

L’élément essentiel de l’atelier est toutefois … le siège… le troisième de ces dernières années, choisi pour recevoir, durant d’innombrables heures, jour après jour, aube après aube, mon auguste postérieur… J’hésite mais n’exclus nullement de me faire le somptueux cadeau d’un certain siège allemand assez simple mais terriblement confortable et reposant. Pourquoi alors l’hésitation ? C’est que le prix, ma petite dame, avoisine celui d’un véhicule automobile… Je n’ai dit ni oui, ni non, et si je suis sage je finirai par me l’offrir…

Quant à la table surchargée qui supporte le monstrueux ordinateur, vieux comme Mathusalem mais sans cesse rénové, ultra-puissant et doté d’une mémoire gigantesque, c’est une simple planche posée sur des tréteaux de bois blanc, vaste à souhait et ployant sous le poids de toutes mes urgences, de tous mes dossiers ouverts, de tous mes appareils de mesures, de toutes mes pilules – naturelles bien sûr – et l’inévitable pot de crayons… La bureautique est là, mais aussi la musique, les chaînes de télévision, et le lecteur des CD que l’on compte par centaines et qui surchargent les étagères.

Un grand sac bleu à portée de ma main contient (le lundi) , les deux kilogrammes de bonbons, caramels et chocolats que j’offre durant la semaine à toutes mes petites amies, élèves de ma voisine, une prof de piano à laquelle elles échappent pour venir, de façon tout à fait désintéressée,  bien sûr, me faire de grosses bises. J’ai là également, pour elles, des crayons de couleurs et du papier à dessin…

Aux murs, sont accrochées trois œuvres, peintes pour moi par des amies de ce bas-monde… et qui sont, elles aussi, autant d’ouvertures sur le monde. Mais l’ouverture que je préfère c’est évidemment cette vue somptueuse ou, derrière un rideau de verdure, une cité humaine surgit de la mer…

 ’’la Mer, immense et verte comme une aube à l’orient des hommes’’

Amers, Saint John Perse

 mo’

(1) http://fr.wikipedia.org/wiki/Xavier_de_Maistre
(2) http://www.smolderscarabee.be/oli_bio.php
 Making off Voyage autour de ma chambre sur Arte
Interview  Voyage autour de ma chambre sur cinergie.be
(3) https://mosalyo.wordpress.com/wp-admin/post.php?post=228&action=edit
(4) http://www.jose-corti.fr/titresromantiques/voyage-autour-chambre.html