Carpe Diem

Carpe diem, du verbe latin ’’carpo’’ qui veut dire ’’cueillir’’ et du mot également latin ’’dies’’ qui veut dire ’’jour’’. ’’Carpe diem’’ signifie cueille le jour.

C’est une expression célèbre du poète latin Horace – né à Vénose dans le sud de l’Italie, en 65 av. J.-C. et mort à Rome en 8 av. J.-C.. Cette expression se trouve à la fin d’un des poèmes de son recueil ‘’Odes’’ dans lequel il essaie de persuader la jeune Leuconoé de profiter du moment présent, sans s’inquiéter de l’heure de sa mort car la vie est courte.

La formule latine complète est :

« Carpe diem quam minimum credula postero »

… qu’on peut traduire par :

« Cueille le jour (et sois) la moins curieuse (possible) de l’avenir »

Horace

Voici l’ode en entier. Cette traduction est due au poète français parnassien Charles Marie Leconte de Lisle (1818-1894)

Leconte de Lisle

  • Ne cherche pas à connaître, il est défendu de le savoir,
  • Quelle destinée nous ont faite les Dieux, à toi et à moi, ô Leuconoé ;
  • Et n’interroge pas les Nombres Babyloniens.
  • Combien le mieux est de se résigner, quoi qu’il arrive !
  • Que Jupiter t’accorde plusieurs hivers ou que celui-ci soit le dernier,
  • Qui heurte maintenant la mer Tyrrhénienne contre les rochers immuables,
  • Sois sage, filtre tes vins et mesure tes longues espérances à la brièveté de la vie.
  • Pendant que nous parlons, le temps jaloux s’enfuit. Cueille le jour, et ne crois pas au lendemain.

Ayant rendu à César ce qui lui appartient, ajoutons que l’expression ’’carpe diem’’ a été rendue célèbre même si elle fait souvent l’objet d’une mauvaise interprétation : elle est comprise comme  ‘’Profite du jour présent’’ alors que les deux mots qui la composent signifient ’’Cueille » et  »jour’’. Elle est ainsi comprise comme une incitation à l’hédonisme paroxystique alors que le sens originel est certes une incitation à bien savourer le présent, mais sans toutefois récuser la discipline sous prétexte que tout va disparaître.

Il s’agit donc d’une recherche de plaisir ordonnée, raisonnée, qui doit éviter tout déplaisir et toute suprématie de ce plaisir. Ce n’est pas de l’hédonisme donc, mais de l’épicurisme, par ailleurs école de l’auteur.

Ce vers est devenu une maxime et il est impossible de ne pas en rapprocher le sens d’un autre vers du même poème : ’’Spatio brevi ; Spem longam reseces’’, soit littéralement ’’Retranche l’espoir durable au bref laps de temps’’.

La rose, fleur rapidement fanée et qu’il faut cueillir dès sa floraison, est également devenue une métaphore canonique de la brièveté de l’existence humaine dans la poésie française du 16ème siècle, en particulier avec les poètes de la PléiadeRonsard écrit ainsi : ’’Cueillez dès aujourd’hui les roses de la vie’’ dans ses Sonnets pour Hélène. Le même thème sera repris au 17ème siècle par les poètes anglais R.Herrick & A. Marvell ainsi qu’au 20ème siècle par Raymond Queneau dans son poème ’’Si tu t’imagines’’, merveilleusement chanté par Juliette Gréco.

Juliette Gréco chantant Si tu t’imagines, de Raymond Queneau et Vladimir Kosma

L’expression de la symbolique de Carpe Diem est devenue pour tous les philosophes, les penseurs, les artistes et les écrivains, un exercice obligatoire auquel innombrables sont ceux qui se sont prêtés. Sans aucune prétention et de façon tout à fait arbitraire, voici quelques citations à ce propos :

Jesus

’’Je suis venu pour qu’ils aient la vie et qu’ils l’aient en abondance.’’

Gordon Hinckley

’’Dans toute vie, il doit y avoir beaucoup de plaisir et de rires. La vie doit être appréciée, pas seulement endurée.’’ 

Ralph Waldo Emerson

’’Même dans la boue et l’écume des choses, il y a toujours quelque chose qui chante tout le temps.’’ 

Eleonor ROOSEVELT

’’Le but de la vie est de vivre, de goûter l’expérience au maximum, pour atteindre avec impatience et sans crainte l’expérience plus récente et plus riche.’’ 

Emily Dickinson

’’Trouver l’extase dans la vie; le simple sens de la vie est la joie.’’ 

Sarah Dessen

’’Ce que vous avez à décider… est comment vous voulez que votre vie soit. Si votre vie se terminait demain, serait-ce la façon dont vous voudriez l’avoir dépensée ? La vérité est que rien n’est garanti. Vous savez ça plus que quiconque. Donc, n’ayez pas peur. Soyez vivant.’’ 

Bernard Kelvin Clive

’’Aujourd’hui, il suffit de prendre le temps de sentir les roses, de profiter de ces petites choses de votre vie, votre famille, conjoint, amis, travail. Oubliez les douleurs et les problèmes des épines qu’ils vous causent… et profiter de la vie.’’ 

Benjamin Franklin

’’Tu aimes la vie ? Alors, ne perds pas de temps, voilà de quoi la substance de vie est faite.’’ 

Marjorie Pay Hinckley

’’L’astuce consiste à profiter de la vie. N’attends pas juste les jours en attendant de meilleurs, avance.’’ 

Bill Watterson

’’Nous sommes tellement occupés à regarder dehors ce qui est juste devant nous que nous ne prenons pas le temps de profiter de là où nous sommes.’’ 

Elisabeth Gilbert

’’On vous a donné la vie; il est de votre devoir – et aussi de votre droit en tant qu’être humain- de trouver quelque chose de beau à l’intérieur de la vie, peu importe comment.’’ 

H.D. Thoreau

  • ’’Je m’en allai dans les bois parce que je voulais vivre sans hâte.
  • Je voulais vivre intensément et sucer toute la moelle de la vie.
  • Mettre en déroute tout ce qui n’était pas la vie, pour ne pas découvrir,
  • A l’heure de ma mort, que je n’avais pas vécu.’’

Omar Khayyam

Est-il seulement concevable de parler d’épicurisme sans en évoquer l’un des grands maîtres, le poète perse Omar Khayyâm ? A l’époque où ses quatrains furent traduits et publiés en Occident, …

’’Personne ne pouvait imaginer alors que quelques décennies plus tard, Khayyâm jouirait d’un grand renom en Europe et aux Etats-Unis comme maître à penser oriental, symbole universel d’une sorte d’épicurisme matérialiste ou athée ; bref, l’inverse de ce que l’Occident cherchait initialement dans l’image de l’Orient spirituel.’’

http://www.teheran.ir/spip.php?article1280#gsc.tab=0 

Jugez plutôt :

  • ’’Je ne sais pas si mon âme par Celui qui m’a pétri
  • Est abandonné aux flammes ou promis au paradis.
  • Un verre, une belle, un luth dans quelque jardin : à moi
  • Ces trois au comptant, à toi le paradis à crédit !’’

Mais attention, ne nous méprenons pas. Khayyâm était avant tout mathématicien et astronome, un grand scientifique, donc. La poésie fut pour lui une manière originale d’exprimer sa philosophie :

  • ’’Des secrets de l’univers, décryptés dans mon ouvrage,
  • Pour ne pas courir un risque j’ai enlevé quelques pages.
  • A ce peuple d’ignorants, je parle pour ne rien dire.
  • De ce qui monte au cerveau je retire des mots sages.’’

William Shakespeare

N’est-il jusqu’au grand William Shakespeare qui ait commis un ’’carpe diem’’ ?

Carpe Diem

  • Ô ma mie !
  • Où vogues-tu ?
  • Reste là et écoute !
  • Ton amour arrive
  • Qui sait chanter fort ou tout bas.
  • Ne t’éloigne pas, ma jolie douce,
  • La fin du voyage, c’est la rencontre de l’amour,
  • Tout homme sage le sait !
  • Qu’est-ce-que l’amour ?
  • Ce n’est pas plus tard,
  • Le bonheur présent c’est ton rire,
  • Ce qui est à venir n’est point sûr,
  • Pas d’abondance dans l’attente,
  • Alors viens m’embrasser ma jeune et douce,
  • La jeunesse ne va pas durer !

Pierre Corneille

Pierre Corneille a-t-il été meilleur que Shakespeare dans son conseil à Marquise, Thérèse de Gorla, dite Mlle Du Parc, une comédienne de la Troupe de Molière, dont sont tombés amoureux le vieux Corneille et le jeune Racine. Ce dernier en fera sa maîtresse, ainsi que l’interprète d’Andromaque, sa célèbre pièce. Qu’on en juge :

Marquise

Marquise

 Marquise, si mon visage
A quelques traits un peu vieux,
Souvenez-vous qu’à mon âge
Vous ne vaudrez guère mieux.

Le temps aux plus belles choses
Se plaît à faire un affront :
Il saura faner vos roses
Comme il a ridé mon front.

Le même cours des planètes
Règle nos jours et nos nuits :
On m’a vu ce que vous êtes
Vous serez ce que je suis.

Cependant j’ai quelques charmes
Qui sont assez éclatants
Pour n’avoir pas trop d’alarmes
De ces ravages du temps.

Vous en avez qu’on adore ;
Mais ceux que vous méprisez
Pourraient bien durer encore
Quand ceux-là seront usés.

Ils pourront sauver la gloire
Des yeux qui me semblent doux,
Et dans mille ans faire croire
Ce qu’il me plaira de vous.

Chez cette race nouvelle
Où j’aurai quelque crédit,
Vous ne passerez pour belle
Qu’autant que je l’aurai dit.

Pensez-y, belle Marquise,
Quoiqu’un grison fasse effroi,
Il vaut bien qu’on le courtise
Quand il est fait comme moi.

Tristan Bernard

Je ne résiste pas à la tentation de rappeler que l’humoriste Tristan Bernard a imaginé une réponse de Marquise à Corneille sous forme de chute ainsi libellée :

  • Peut-être que je serai vieille
  • Répond Marquise, cependant
  • J’ai vingt-six ans mon vieux Corneille
  • Et je t’emmerde en attendant.

Redevenons sérieux pour partager le ’’Carpe Diem’’ de Walt Whitman, 1819-1892, homme de lettres américain, auteur d’un unique recueil de poèmes, ’’Feuilles d’herbe’’, qu’il a pendant toute sa vie constamment revu et enrichi.  Whitman est indéniablement le plus grand poète lyrique américain et le plus original. Son ’’carpe diem’’ est devenu une espèce de péan de la jeunesse positiviste, un chant d’enthousiasme et de joie de vivre, de jeunesse et d’épicurisme.

Walt Whitman

Carpe diem

  • Ne laisse pas le jour finir sans avoir grandi un peu,
  • Sans être heureux, sans avoir atteint tes rêves.
  • Ne te laisse pas vaincre par la déception.
  • Ne laisse personne t’enlever le droit de parler, c’est presque un devoir.
  • N’abandonne pas le désir de faire de ta vie quelque chose de spécial.
  • Crois bien que les mots et la poésie peuvent changer le monde.
  • Quoi qu’il advienne, notre être profond reste intact,
  • Nous sommes pleinement des êtres de passion.
  • La vie est désert et oasis.
  • Nous tombons, nous avons mal, nous apprenons, nous sommes les acteurs de notre histoire,
  • En dépit des vents contraires, ce travail puissant continue,
  • Tu peux en écrire une strophe.
  • Ne cesse jamais de rêver, parce que dans son rêve, l’homme est libre
  • Ne t’abandonne pas à la pire des fautes, le silence.
  • La plupart des hommes vivent dans le silence. Echappe-toi !
  • Apprécie la beauté des choses simples.
  • Tu peux écrire des poèmes sur des choses simples
  • Mais on ne peut voguer contre soi-même
  • Cela fait de la vie un enfer.
  • Aime la peur qui te fait aller de l’avant
  • Vis intensément, sans médiocrité
  • N’oublie pas que tu es le futur et aborde cette tâche avec fierté, sans crainte,
  • Apprends de ceux qui peuvent t’instruire
  • Ne laisse pas la vie s’écouler sans vivre cela.
Nota :  N’ayant trouvé aucune traduction française satisfaisante, j’ai eu recours à une douce amie, prénommée Viviane, qui m’a fourni celle ci-dessus, nettement supérieure à tout ce que j’avais trouvé… Elle est également la traductrice du poème de Shakespeare. Qu’elle en soit remerciée.

Françoise Sagan

Il est grand temps de conclure, ce me semble. Nous le ferons avec quelque grandiloquence. J’ai hélas oublié la citation exacte ou il est dit que l’espace est la force de l’homme et que le temps est sa faiblesse. Cueillir le jour, c’est profiter du temps, amoindrir donc sa faiblesse. N’est-ce pas un peu cela, vivre ? Dans l’affirmative, la palme d’or doit revenir à la romancière contemporaine Françoise Sagan, qui fut l’égérie de la jeunesse dans les années 60. Imaginez la puissance de cette affirmation rageuse :

“Mon passe-temps favori, c’est laisser passer le temps, avoir du temps, prendre son temps, perdre son temps, vivre à contretemps.”

mo’