Sauter aussi impunément de la révision de la Constitution à la rédaction d’une monographie folâtre et légère sur la plus humble des créatures de notre biotope est-il bien sérieux ? Certains se le demanderont, les plus indulgents s’étonneront,  d’autres hésiteront et beaucoup vilipenderont.  

Et bien moi, Mo’ du Bou Iblane, j’affirme qu’outre le fait de croire qu’il existe une intelligence entre tout en ce bas monde, le lien existe même s’il est ténu. Ecoutez mon discours…

La Sardine – puisqu’il s’agit d’elle, est un des plus somptueux présents que la Nature ait faite à cette contrée. Apprenons à la connaître et voyons ce que nous en avons fait.

Au temps de la Grèce Antique, elle pullulait dans les eaux de la Sardaigne, ce qui poussa les Hellènes à baptiser le poisson du nom de l’Ile. Au fil des siècles, la surpêche l’en chassa. Dans les Temps Modernes, elle est abondante dans ’’presque tout l’Atlantique nord, de l’Irlande jusqu’aux Açores, en zone tropicale … et entre les côtes Atlantique Marocaine et Européenne en zone pélagique côtière de 15 à 35 m de profondeur’’. http://fr.wikipedia.org/wiki/Sardine

Elle constitue, au Maroc, ’’plus de 62 % du tonnage débarqué par la flotte côtière du pays, mais pour seulement environ 10 % de la valeur marchande du total débarqué. Le stock de sardine traditionnellement prélevé au nord d’El Ayoun est considéré par la FAO comme « intensément exploité » et celui situé entre les caps Bojador et Barbas est « pleinement exploité », ce qui pose la question de la surexploitation et de durabilité de cette pêche dans cette zone.’’ (Ibidem)

’’La régression des sardines a des impacts sur les … chaines alimentaires et la structure des écosystèmes. Elle pourrait contribuer à l’extension des zones marines mortes. Inversement, certains scientifiques pensent que restaurer leurs populations pourrait contribuer à améliorer l’état des eaux, et notamment limiter les émissions de méthane (puissant gaz à effet de serre) des zones très dégradées …’’ (Ibidem)

D’un point de vue taxonomique (la taxonomie est la science de la classification des espèces vivantes), la variété disponible au Maroc, la Sardina pilchardus (Walbum) est la plus appréciée parmi les 21 espèces de poissons autorisées à porter la dénomination ‘’sardines’’. Mais elle doit justement lutter contre ses ’’copies’’ éparpillées un peu partout dans le monde. Maroc Espagne Portugal et France ont tenté d’obtenir que la FAO réserve le nom de ’’sardine’’ à notre Sardina pilchardus.  En vain. 

C’est un poisson riche en Oméga-3, phosphore, vitamine B3 et vitamine B6, nourrissant, digeste, diététique (134 cal aux 100gr) facilement conservable, s’adaptant à tous les modes de transformation et de conservation : appertisation (conserve par traitement thermique), salaison, fumage, vinaigre, marinage (conserve par un mélange de vinaigre, de condiments et d’épices),   confiserie (conserve par couverture d’un conservateur) et congélation.

Mais ce sont sans conteste le produit frais et le produit en ’’conserve’’ qui donnent les meilleurs résultats gustatifs. Je reviens sur le premier plus bas, mais concernant la conserve de sardine, elle peut être le symbole de la misère, certes, mais elle peut aussi être une délicatesse de très haut luxe : certaines entreprises de prestige font fabriquer à leur marque des conserves de sardines ’’millésimées’’, lesquelles se bonifient avec le temps, atteignant leur délicatesse optimale vers les 10 ans !…    

Et nous, au Maroc ? Qu’avons-nous fait du ’’divin présent’’ ?

Il tend à devenir … ’’un souvenir’’ sous l’action conjuguée de la mauvaise gouvernance, de l’inconscience, de l’incurie, de l’incompétence et de l’incivisme et alors qu’il aurait pu être un magnifique levier de développement tout autant qu’une délicatesse gastronomique, saine et délicieuse, il n’a jamais été, dans le meilleur des cas,  que le triste casse-croûte des travailleurs de force, car ne restaient ici que les rebuts de l’exportation : histamine trop élevée, boites cabossées etc…

Nous sommes ingrats car la manne de ce modeste clupéidé, gérée par de ‘’bons pères de familles’’, est assez riche pour offrir à chaque Marocain, chaque jour, la ration idéale de 85 grammes de la meilleure protéine animale qui soit ! Mais hélas, il y a 40 ans, nous n’aimions pas le poisson ! A l’époque de la prise de conscience de l’importance de la pêche – 1973, création de l’Office National des Pêches et 1983 du Ministère des Pêches Maritimes, nous en consommions 3 kg par an et par habitant, chiffre à comparer avec les 63 kg des Japonais, les 31 kg des Espagnols et les 20 kg des Français ou les 19 kg des Sénégalais.

http://faostat.fao.org/site/610/DesktopDefault.aspx?PageID=610#ancor

Nous n’avons donc rien trouvé de mieux à faire de ce trésor qu’en réserver l’écrasante majorité (80%) à la fabrication de farines de poisson, matière première des mixtures qui servent d’aliment aux … poulets industriels …

Ainsi, une protéine animale noble, marine de surcroît, des meilleures qui soient, nous a servi – et continue de nous servir- à fabriquer des poulets archipleins de mauvaises graisses, de cholestérol et autres.  

Et cela fut à l’origine promu, encouragé, chanté et loué par l’Etat, sans aucune retenue ni raison objective ! Cela fut même subventionné ! Rassurez-vous cependant, beaucoup n’ont pas raté l’opportunité de s’en enrichir.

Parallèlement, le ’’droit de ponction’’ sur cette richesse devint une monnaie politique cédée ci et là au gré des aléas … politiques justement. 

Précision : Il existe certaines farines de poisson tellement bien faites qu’elles servent de base de fabrication au haut de gamme de l’alimentation humaine, à savoir l’alimentation pour bébés ou ‘’baby-food’’ . Mais pas chez nous ! Nous, nous avions préféré importer à trois francs six sous des usines déglinguées, souvent interdites dans leurs pays d’origine, honteusement polluantes, pour réduire nos nobles sardines en chaires insipides et grasses de poulets roumis.

’’Quel gâchis ! Quelle honte !’’ m’étais-je indigné en public, devant des responsables de divers départements concernés recevant des visiteurs étrangers avant d’être ramené au silence et rudement sermonné par l’un des participants qui me rappela à plus de discipline !

Aujourd’hui, cette année précisément, les usines de conserves tournent au ralenti, la ressource disparaît sous les coups de boutoirs d’une pêche désordonnée… Et les crocodiles de pleurer ! Alors, avant de devoir aller au Muséum d’ Histoire Naturelle pour nous remémorer à quoi ressemblait la défunte sardine du Maroc, délectons-nous en, sous sa forme la plus simple : le grillage (action de griller).

Un des meilleurs repas pris au cours de ma vie, me fut servi dans un restaurant que vos excellences ne connaissent certainement pas, Messieurs les Petits Marquis, car il se situe dans l’enceinte du port de pêche de Safi, à la porte de la criée de la halle aux poissons. J’étais dans cette capitale pour acheter, sur injonction de mes clients italiens, tout ce qui pouvait ressembler de près ou de loin à un poisson car c’était la veille d’une fête régionale transalpine, période de forte consommation de produits de la mer. Les débarquements étaient importants et la logistique à mettre en place, lourde et complexe. J’étais éreinté par la fatigue, la veille et la tension nerveuse, car dans ces configurations de task-force, la moindre erreur se paie au prix fort. Pas question de m’éloigner des enchères, ma présence était nécessaire à la prise de décision en flot continu. Je me nourrissais donc sur place, de ce que l’on vend en ces lieux : galettes de semoule, pain-beurre et confiture, thé à la menthe, omelette, Vache qui Rit … Ce jour-là j’eus une forte envie de sardines et demandai aux amis de mon ’’restaurant’’ favori de m’en préparer. 

Ce restaurant ’’1000 étoiles’’ (car fabrique de délices et situé en plein air) était connu sous le nom de ’’Chez Hammou Laqraa’’ (Hamou le Teigneux). On y était très bien assis sur de fabuleux sièges constitués de caisses de poisson vides posées à la verticale, bien odorantes et agrémentées d’un tourbillon de mouches gourmandes et collantes. Vous les chassiez, elles revenaient encore plus décidées à vous pomper la substance et à jouer les pique-assiette. Une table bancale recevait un coup de chiffon javellisé avant de vous être proposée, et l’argenterie y était alors ’’jetée’’ devant vous : une assiette en alu ultra léger quelque peu cabossée et semblant sortir d’une fouille archéologique et une serviette en papier d’emballage d’épicerie. Une bouteille d’eau de ville vous était offerte par la maison, délicatement servie dans une aiguière – une bouteille plastique de soda recyclée, avec bouchon, perlée de gouttes d’eau de condensation, laissant croire à un passage dans le réfrigérateur.

La prise de la commande par le maître d’hôtel était un gag ! Pendant qu’il astiquait l’assiette de son chiffon à tout faire, il marmonnait quelque chose. Vous deviez reconnaître dans son borborygme la question de savoir si Votre Excellence voulait des ’’Ortolans aux truffes comme chez Tivollier’’ ou si elle préférait en entrée des ’’Perles de beluga sur blinis à la smetana’’… Non, soyons sérieux, en fait l’amphitryon  vous demandait quelle taille de théière vous désiriez. Petite, moyenne ou grande ? Le reste de la carte ? Quelle carte ? L’établissement ne servait que des sardines grillées ! Des sardines de Safi, les meilleures du monde, grasses comme des poulardes à cette période de l’année, débarquées, achetées et légèrement rincées en face de vous ! Le seul risque de souillure de ce produit pur était un largage diarrhéique de mouettes rieuses et têtues …    

Rapidement  l’on faisait venir les suppliciées et on les allongeait l’une à coté de l’autre, tordues par leur fraîcheur, étincelantes de leur vif-argent. On éventait vigoureusement la braise pour la ranimer et aussitôt de délicieuses effluves vous chatouillaient les narines pendant que les braises grésillaient de joie en carbonisant toute graisse qui osait les toucher. Les chairs se contractaient davantage en frissonnant, chantant une plainte lascive sous la morsure du feu. Le Maître-Queux préposé au grill se saisissait d’une bouteille contenant un liquide indéterminé qui est le véritable secret de ce produit d’exception et en réglant le débit de son pouce, en aspergeait les fumées trop épaisses. Ce liquide est en fait un mélange d’eau de mer et de vinaigre, savamment dosé, qui débarrasse les chairs délicates de leurs surplus de graisse sans en altérer le goût. En peu de temps, les poissons se dorent et lorsqu’ils se tachètent de bronze et prennent des poses érotiques et déhanchées, ils sont prêts à la consommation…

Pour manger des sardines grillées,
il faut une certaine expertise.

Il faut tout d’abord leur flatter l’échine pour en faire glisser la peau encore revêtue des écailles, en pinçant cette robe entre le pouce opposé au tandem de l’index et du majeur.  Ainsi, vous mettez à nu les chairs qui ne doivent être ni trop sèches ni trop humides. Enfin, vous les prélèverez et les consommerez : aucune arête, si vous procédez ainsi, ne gâchera votre mastication. Puis, vous traiterez pareillement les reins et la région caudale, et enfin, la partie ventrale, en prenant soin de ne pas crever la poche abdominale car rappelez-vous, les sardines se grillent avec leurs viscères !En descendant dans votre gosier ces chairs chaudes et gavées de saveurs vous font fermer et les yeux et remercier le Ciel de tant de bonheur.  Bonheur simple, communion avec la Nature, avec la Mer avec pour seul partenaire le Feu !

 

Mais il est déjà temps de vous occuper de la sardine suivante, car le poisson grillé doit bruler les doigts pour livrer toutes ses saveurs. Il ne saurait donc attendre…

 

Je précise cependant, pour rassurer mes éventuels futurs amphitryons, que je sais aussi manger les sardines grillées comme les crevettes de roche même, avec fourchette et couteau et c’est même un spectacle que de me voir ’’procéder’’…

La Recette des ’’Sardines Grillées
comme chez Hammou Laqraa’’

Les Ingrédients

Des Sardines ultra fraîches, de moins  de 6 heures de pêche

Du gros sel marin

Un mélange de 2/3 d’eau de mer et 1/3 de vinaigre blanc

Le matériel

Un grill

Un brasero et du charbon de bois

La réalisation

L’Exécution

  • Allumer le feu de charbon et le laisser prendre
  • Laisser intactes les sardines, avec écailles et viscères
  • Les rincer très légèrement à l’eau de mer propre
  • Saler superficiellement avec du gros sel marin, mélanger et mettre au frais jusqu’au moment de la cuisson, soit au réfrigérateur (0°C à +5°C) soit, mieux encore, sous glace hydrique
  • Le feu de cuisson est prêt lorsqu’ont disparu toutes les flammes et ne restent que des braises incandescentes.
  • Disposer les sardines sur la grille de cuisson bien nettoyée. Laisser bien cuire d’un coté, puis tourner et laisser cuire de l’autre coté. Ne pas tourner sans cesse
  • De la fumée se dégagera : c’est la graisse des sardines qui goutte sur les braises. Ne pas laisser se former de flammes. Eteindre en aspergeant légèrement d’un mélange d’eau de mer et de vinaigre blanc (2/3 d’eau de mer, 1/3 de vinaigre blanc)
  • Lorsque les sardines sont dorées et fermes, les servir immédiatement.

Un accompagnement ?

  • Pain blanc et thé à la menthe (Maroc)
  • Grappillon de Raisin (Andalousie)
  • Pain grillé frotté de pulpe de tomate fraiche (Catalogne)

L’épilogue

Et voilà, comme vous avez pu le voir, l’humoriste des années 50, Léo Campion n’avait pas raison lorsqu’il définissait avec humour la sardine comme un ’’petit poisson sans tête qui vit dans l’huile. ’’

La Sardine est un poisson noble dont les sages auxquels je demande de m’accepter parmi eux, disent  que même si les sardines sont l’aliment du pauvre, elles ’’mériteraient d’être servies à la table des dieux’’. Elles ont trainé derrière elles une foule d’appréciations imbéciles, justifiées par la négligence dans laquelle les ont maintenues quelques malandrins depuis la nuit des temps. Redressez vite cette opinion et si vous, vous n’en savez rien, dites-vous que beaucoup de connaisseurs des produits de la mer, je crois en être un puisque j’y ai travaillé très longtemps, considèrent le modeste clupéidé comme un des meilleurs poissons du monde !     

 

mo’