Les  grandes entreprises ‘’modernes’’ se mettent à embaucher des littéraires, des sociologues, des historiens, des philosophes et des artistes qu’elles affectent aux tâches de création. La vue étroite du technicien prenant en charge la création, aidé du financier et du communicateur a vécu. Elle a montré ses limites.

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Claude Duneton, professeur d’anglais né en 1935, homme de lettres, collectionneur de mots, de bons mots et de gros mots en CKD ou montés en expressions, est l’auteur du délicieux «La puce à l’oreille : anthologie des expressions populaires avec leur origine» paru chez Stock en 1978, puis revu et corrigé chez Balland en 2001 et qui avait fait grand bruit.

Dans l’avant-propos d’un petit ouvrage intitulé «Dictionnaire du français branché» de Pierre Merle paru en 1986 aux Editions du Seuil, Claude Duneton dit de la nouveauté dans le langage qu’elle nous gêne: «Quand elle n’est pas strictement technique, professionnelle, la nouveauté fait naître un sentiment de frustration, d’exclusion, tant on voudrait que la langue ne change en rien entre notre enfance et … le reste. Nous avons tous, d’une certaine façon, l’image d’un langage confort et sécurité. La langue de nos pères. Quelle utopie ! Le langage retraite…»

J’ajoute à ce propos que des groupes sociaux entiers créent la nouveauté à la recherche de l’effet contraire : devenir hermétique. L’argot est le langage des ‘’hors-la-loi’’ à la recherche d’anonymat, la préciosité est le langage des désœuvrés à la recherche de noblesse etc.

C’est bien vrai et je ne cesse de le répéter autour de moi, une langue vivante, ô lapalissade, vit ! Elle progresse, régresse, transgresse ses propres règles et le jour ou elle cesse de changer, elle meurt… C’est la loi immuable du vivant.

Inutile de rappeler ce que tout le monde sait depuis la publication des travaux de Ferdinand de Saussure : la nécessité de faire un distinguo clair entre la langue, le langage et la parole. Très rapidement,  pour celles et ceux qui en auraient oublié les définitions, en voici le rappel :

La langue est un ensemble de signes utilisés par une communauté pour communiquer.

Le langage est la faculté générale de pouvoir s’exprimer au moyen de signes :

  • ensemble de signes.
  • usage concret de cet ensemble de signes

La parole est l’utilisation concrète des signes linguistiques dans un contexte précis.

Non, il n’y a aucune redondance dans ces définitions extrêmement précises. Il faut prendre le temps de les lire, de les analyser, de les comprendre pour s’en convaincre. C’est bien le télescopage de ces concepts qui provoque la perte du savoir-parler qui est le savoir-faire de l’expression et partant, de la communication.

Revenons à la spécificité de notre époque en matière de langage et parole : nous n’avons rien inventé du tout et notre production est engendrée comme elle l’a été de tout temps, par des tics de langage, ces espèces de propositions, périphrases, groupes de mots, néologismes, emprunts à une langue étrangère, mots simples dont le sens a été revisité, images et symboles.

La nouveauté en matière de langage et parole constitue un matériau sociologique intéressant et il appartient à tous les humains de chaque période d’en faire l’étude avec le plus grand sérieux, pour mieux se connaître. Nosce te ipsum ! aurait dit Socrate, à moins que ce ne soit Thalès… ou Phémonoé…

Obsédé par les lumières de la sagesse, philosophia, fuyant depuis ma naissance jusqu’à l’usage de simples diminutifs, refusant toutes les  altérations langagières pour leur inutilité, je vais considérer certaines expressions de l’heure, choisies sur la base d’une subjectivité totale, je l’avoue, et tenter de dire ce que cela traduit pour moi et m’apprend sur leurs utilisateurs, tant émetteurs que récepteurs.

Expressions ‘’juste’’ agaçantes :

Au jour d’aujourd’hui : Cet inélégant pléonasme vieux de 3 siècles connaît actuellement un regain de vitalité. Son emploi est l’apanage de personnes d’une médiocrité avérée.

C’est clair, ou … Clair que : Expression de la recherche d’appartenance à un réseau sous-tendue par un sentiment de supériorité. Sous-entend : Il est évident pour les gens aussi intelligents que moi …

Dans tous les esprits : Etant sous-entendu que si ce n’est pas dans le vôtre, c’est que vous avez un sérieux problème d’intégration. Cette expression donne à son proférant la légitimité que confère le plus grand nombre…

En fait : Véritable expression-toc – trouble obsessionnel compulsif, la proposition qu’elle fait n’ajoute strictement rien au sens de la phrase ou elle figure, mais elle veut laisser supposer que celui qui la prononce condescend à vous expliquer, à vous pauvre ignorant limité, le sens caché des choses. En fait, non satisfait de ce qu’il a signifié, et dans le souci que vous compreniez bien, il exprime son idée à votre attention, autrement.

Enfin voilà quoi : Bredouillage-aveu d’un locuteur qui rend compte d’une analyse et d’une acception dont il sait qu’elles sont simplistes ou inachevées.

J’ai envie de dire : Tournure poétique d’une emphase aussi inutile que vide. Une fois encore, l’expression est probablement née de la très commune expression anglaise : I would say

Quelque part : Expression qui n’ajoute rien au sens d’une phrase et complique même une idée simple dont on craint qu’elle soit trop simple, trop évidente. Sous-entend souvent un non-dit comme ‘’quelque part ou moi je peux aller, mais pas vous’’…

Par rapport à : Normalement synonyme de ‘’pour ce qui est de’’, ‘’en comparaison de’’, ou ‘’relativement à’’. On note de nos jours une inflation énorme de l’utilisation de cette expression qui sert généralement à se raccrocher à des références absconses et trahit un tragique manque de rigueur.

Revoir sa copie : Modifier un projet, un plan, un écrit afin de l’améliorer, de l’adapter au but ou aux attentes. Dans le parler actuel, l’expression est utilisée à tout-va et la moindre retouche se prétend une révision de la copie.  

Si tu veux : Introduction d’une proposition alternative, d’une comparaison, par quelqu’un qui perd pied dans une démonstration ou un exposé. Redoutable mauvais point pour un expert, car l’expression dénote un manque d’assurance.

Expressions ‘’juste’’ crispantes:

Avoir vocation à : Ô la science confuse des utilisateurs  de cette expression prétentieuse déguisée en principe juridique ! Elle est typique des crânes d’œuf de l’outrance occidentale actuelle et son grimage en droit universel…

Botter en touche : Expression empruntée au rugby, sport qui regagne peu à peu les faveurs populaires et qui signifie ‘’dégager le ballon en touche’’, manœuvre qui sert notamment à stopper une séquence de jeu délicate’’. Au sens figuré, l’utilisateur veut dire ‘’Remettre à plus tard, déplacer ou éviter le sujet d’une discussion’’. Le succès considérable de cette expression s’explique par l’impertinence systématique et totale des interviewers et le besoin de se protéger des interviewés.

C’est du lourd : Genre d’évaluation à classer dans les appréciations gratuites dont le but véritable est d’empreindre d’emphase une chose et de la surévaluer dans le but inavoué de lui donner une valeur qu’elle n’a pas.

 C’est juste … pas possible, juste merveilleux, juste compliqué etc.:  Summum de la préciosité et du ridicule qui donne un sacré coup de jeunesse à l’œuvre éponyme de Molière. Cette expression semble allier tous les défauts du ‘’dire n’importe quoi’’ : le non-sens, le ridicule et surtout le barbarisme. 

 C’est que du bonheur : Une traduction littérale de l’expression anglaise ‘’It’s just fancy’’: Les utilisateurs francophones ne cachent pas que ce disant, ils jouent un peu aux gens simples qu’ils ne sont bien évidemment pas.

Ca m’interpelle quelque part : Façon biscornue et prétentieuse de dire tout simplement que l’on est ému ou touché. Le discoureur veut dire qu’il a saisi le problème de manière holistique, que sa grande sensibilité a été activée par des aspects qui échappent forcément au vulgum pecus

Convoquer Freud : Invoquer la psychanalyse pour étayer un argumentaire ou expliquer quelque chose. Cette formule périphrastique trahit une volonté délibérée d’hermétisme et de rehaussement intellectuel.

Faire le buzz : Emprunt pauvret et inutile à l’anglais, cette expression signifie à l’origine ‘’lancer sur Internet une rumeur qui provoque une grande agitation, tel un bourdonnement d’abeilles’’. Elle tend peu à peu à signifier tout simplement ‘’connaître un succès phénoménal’’.

Faire sens : On trouverait difficilement 10 personnes qui savent que cette expression est bien française et ressortit au vocabulaire philosophique et littéraire. Elle est revenue dans le langage grâce aux œuvres de  BCBG qui n’ont pas fini d’en vouloir à leurs parents pour les avoir faits francophones et non anglophones. Alors pour mettre du sens dans leur démarche, ils ‘’make sense’’, euh pardon, ils font sens.

Faire son deuil : Se résigner à la privation d’une personne, d’une chose. L’abus d’utilisation de cette expression accompagne la vulgarisation de la psychologie et son application dans toutes les manifestations de la vie.

Feuille de route : Tend à remplacer peu à peu l’antique ‘’programme d’action’’ qui a été revu et corrigé par le complexe géostratégique américain pour avancer à petits pas vers la paix au Moyen Orient, et repris par tous les petits stratèges du monde entier…

Impacter : Verbe emprunté à l’anglais to impact et qui a au moins 3 sens en français. Un sens médical (assurer la fixation d’un appareillage sur une partie du corps), un sens balistique (entrer en collision) et enfin un sens dérivé (influencer). Les Hacheuçais de France et d’ailleurs en ont fait leur verbe, car, n’est-il point, toutes leurs actions et toutes leurs propositions tendent à cela : impacter le monde.

J’hallucine : Cette expression couramment utilisée généralement par des femmes du genre chochottes pour exprimer un grand étonnement, une stupéfaction telle qu’elle semble provenir d’une hallucination, d’une perception injustifiée. Elle est également utilisée pour requérir un supplément d’attention.

Montée en puissance : progression spectaculaire. Cette expression utilisée à tort et à travers est devenue une boursoufflure de langage, souvent inutile mais dont on abuse pour la séduction de son aspect cinétique et l’évocation des moteurs de bolides divers.

Point barre : Cette expression trouve son origine dans l’art de la dactylographie officielle : dans les lettres administratives, le contenu doit normalement être clos par un point suivi d’une barre (slash), normalement pour éviter qu’un falsificateur puisse ajouter quoi que ce soit. Dans le discours pédant, l’expression point barre annonce la clôture ou le refus de poursuite d’une discussion, une espèce de forclusion au sens que la psychologie donne à ce mot. Il est évident qu’elle ne peut  émaner que de personnes directives, voire allergiques à la dispute en son sens premier. Donc haïssable.

Problématique : Nom commun signifiant ‘’ensemble des problèmes relatifs à une question’’, ce qui n’a donc strictement aucun rapport avec l’inflation de l’utilisation de cette boursoufflure pédante ou il remplace systématiquement le trop simple, clair et net ‘’problème’’ !

à vous …

mo’