A plusieurs milliards d’années-lumière du machisme et de la guerre des sexes, et malgré ce qu’en disent certaines langues de vipères, je suis même traître à mon genre puisque totalement convaincu de la supériorité du genre féminin. C’est pourquoi je n’imagine que difficilement ce que j’aurais pu faire de ma vie si j’avais été l’auteur d’une petite fille… Je veux dire qu’à part m’occuper d’elle, je n’aurais eu goût à rien. Mille de ces railleurs vipérins m’ont dit mille fois que peu à peu, je l’aurais étouffée, empêchée de vivre, insidieusement forcée à m’aimer, poussée à m’admirer, lâchement obligée à reconnaître en moi l’homme idéal, son homme, bref que j’aurais manigancé tant et plus pour occuper son espace, sa vie, son esprit, ses pensées, ses occupations et ses préoccupations. Ces perfides concluent qu’en fait, j’aurais été odieux …

Je ne comprends pas ces vigoureuses diatribes et les considère comme déplacées… Je voudrais dire à mes accusateurs, mes censeurs et  mes procureurs que mon assiduité supposée aurait peut-être été naturelle, mieux, que personnellement, j’en fais toujours preuve raisonnablement avec tous ceux que j’aime… Il est mieux que je m’en explique pour que vous me compreniez bien et je pense qu’ensuite, vous m’absoudrez.

http://www.youtube.com/watch?v=9-n3Ydy7ras

 Qu’aurais-je pu faire, dites moi braves gens, si le destin m’avait soumis à l’empire d’une capiteuse chipie de ce genre ? Dites-moi donc ? Quel besoin aurais-je eu de sortir de mon logis ? Eut-il été prudent que je m’éloignasse d’elle ? Que je prisse le risque de la laisser seule, de lui faire souffrir le martyre de mon absence ? Assurément non, et c’est pourquoi je ne l’aurais pas fait et serais resté près d’elle…

http://www.youtube.com/watch?v=v24J1WZQIDw&feature=related

Aurais-je été mieux loti si j’avais dû assumer la paternité de cette petite déesse à la beauté définitive ? Aurais-je eu le cœur de la laisser souffrir les pesantes insistances des damoiseaux de la terre entière ? Aurais-je eu le droit de les laisser ainsi entraver sa liberté de leurs lourdeurs, hypothéquer son avenir et gâcher sa vie ou alors aurais-je du abréger la vie de ces indélicats dont le meilleur n’aurait même pas été digne de lui servir de valet ?

http://www.youtube.com/watch?v=kkf7LYB2MIg

Je sais bien qu’étant ma fille, telle flammèche eut réglé d’énergique manière le problème de son entourage, mais tout de même, l’intelligence, hélas, trébuche parfois sur la violence et l’indélicatesse. Alors comment cette adorable poupée aurait-elle pu se passer de son merveilleux et dévoué papa ? Aurait-il eu le droit moral de s’éloigner d’elle ne fût-ce qu’un instant ?

http://www.youtube.com/watch?v=aTiBFi76jZw&feature=related

Comment ma fille aurait-elle pu ne pas être sérieuse, grave, réfléchie, mesurée, pondérée, sage et profonde ? Ce qu’étant, aurait-elle pu pour autant se passer de ma présence, de ma protection, de mes conseils, des mille et une choses que je lui aurais offertes dans le seul souci de la préserver et de l’armer pour la lutte pour la vie ?

http://www.youtube.com/watch?v=Gs6afORTmIo&feature=related

Ma fille aurait-elle été ce brin de lys au sourire d’ange et  au regard tellement pur ? Assurément ! Et cela m’aurait astreint à un don total de ma personne et de mon temps, là encore pour la préserver, pour éloigner d’elle le malin et le danger et débarrasser sa route des ronces, des épines et des pièges pour la joncher de pétales de roses !

Je sais bien que peu à peu, sans que je m’en rende compte, elle aurait grandi et serait devenue une belle jeune fille en fleurs, à l’orée d’une vie merveilleuse, lumière éblouissante parmi les images d’un kaléidoscope fabuleux, dont les fantasmagories auraient peuplé ses rêves et ses illusions. J’aurais été là, bien sûr, garde du corps et de l’âme zélé de ma princesse…  Et je me plais à libérer, de temps à autre, les chevaux fous de mon imagination pour habiller l’absente d’une humaine parure…

’’Un père trop proche, trop compréhensif, n’est pas forcément ce qu’il y a de plus rassurant pour une adolescente qui a besoin,même si elle s’y oppose,  d’une autorité.’’

Geneviève Bersihand, Les Filles et leurs pères

’’Le fou vante son cheval, l’enragé sa belle-fille et l’ignorant sa fille.’’

Proverbe scandinave

’’Pour un père, il n’est rien de plus doux qu’une fille ; l’âme   d’un   fils   est   plus   haute,  mais moins tendre et caressante.’’

Euripide

’’Le père est un miroir dans lequel la petite fille puis l’adolescente, peut discerner les prémices de la femme qu’elle deviendra.’’

Geneviève Bersihand Les Filles et leur pères

’’Les filles, tu sais pourquoi Dieu il les a inventées ? Pour faire chier d’abord leur père, et ensuite leur mari.’’

Gilbert Levy, Dialogue du film ’’Mariage mixte’’

Après cette vigoureuse boutade, allons à la bibliothèque et voyons ce que dit la littérature de la relation père-fille. Le plus célèbre des ouvrages sur la question est ce roman de Balzac que l’on n’ignore plus normalement à partir de Bac-3, ’’le Père Goriot’’. C’est l’histoire d’un homme, ’’Goriot, qui mettait ses filles au rang des anges, et nécessairement au-dessus de lui, le pauvre homme ! Il aimait jusqu’au mal qu’elles lui faisaient.’’ Le Père Goriot aborde le thème de l’amour paternel poussé jusqu’à la déraison et ce roman, relu très récemment, m’a encore, je l’avoue, fait frémir…

En dehors du cadre du roman, le sujet a suscité maint écrit et mainte réflexion. Qu’a donc de si particulier cette relation qui commence par un amour inconditionnel dans les deux sens, et va jusqu’au rejet pur et simple et passe par des périodes d’indifférence et de rapprochement ?

  1. Encore bébé, la petite fille comprend que son papa est un être à part dans son environnement. D’abord parce qu’il ne ressemble pas à toutes les autres personnes qu’elle côtoie normalement. En effet, la maternité et la crèche sont souvent des lieux de femmes. Par sa simple différence physique, par le son de sa voix, le papa ouvre au bébé le monde extérieur.
  1. Entre 2 et 4 ans, la petite fille est attirée de façon plus ou moins forte vers son père. Cette attirance tout à fait normale et sexuée l’amène à rechercher le contact avec son père, objet de toute son admiration et de tout son amour.
  1. Entre 4 et 6 ans, ce qui était simple attirance, devient un besoin de possession du père. C’est la naissance du complexe d’Electre, équivalent pour les petites filles du complexe d’Œdipe pour les petits garçons : La petite fille va donc découvrir ce que sont la jalousie et la rivalité avec sa mère. https://mosalyo.wordpress.com/2010/04/26/la-bourree-des-complexes Cette notion a été ‘’inventée’’ par Jung mais refusé par Freud : ’’Il nous semble sur ce point que ce que nous disons du complexe d’Œdipe ne s’applique en toute rigueur qu’à l’enfant de sexe masculin, et que nous sommes fondés à refuser l’expression de complexe d’Électre qui insiste sur l’analogie du comportement des deux sexes.’’
  1. Mais, en même temps, il se fait jour chez elle une ambivalence des sentiments : elle cherche à écarter sa mère, mais en même temps elle redoute par ces manœuvres de perdre l’amour de celle-ci. D’où situation assez inconfortable qui peut l’amener à une certaine confusion et une culpabilisation.
  1. Généralement, après l’âge de 6 ans, tout se termine bien, et la petite fille admet le fait que jamais elle ne pourra épouser son père. Toutefois, cette évacuation du complexe d’Electre (ou Œdipe) peut être beaucoup plus tardive chez certaines petites filles, et pour d’autres ne jamais réellement s’effacer, même à l’âge adulte.
  1. A l’adolescence, le fossé se creuse d’autant plus que la jeune fille traverse une période de bouleversements hormonaux … sujets délicats que la demoiselle préfère aborder avec sa mère. Si le père doit respecter la distance voulue par sa fille, il doit cependant veiller à la valoriser, sans en faire trop mais de la reconnaître clairement en tant que femme.
  1. Pour le père,  un bouleversement douloureux intervient lors de l’arrivée de ’’l’autre homme’’, fiancé pouvant même être choisi par lui, petit ami choisi par elle, mari dans les sociétés plus traditionnelles. Le père le vit très mal car on le fait descendre de son piédestal par le fait que sa fille lui préfère un autre !
  1. Deux périodes sont propices au rapprochement entre un père et sa fille. La première a lieu lors de l’annonce de la maternité de sa fille. Il change de statut et devient grand-père. La future maman renoue alors avec lui pour lui demander des conseils de toutes sortes.
  2. Enfin, l’âge avance et le père faiblit. La fille se rapproche alors de lui, mais cette fois-ci pour l’aider. Elle comprend  qu’il est temps de faire la paix définitive et éprouve le besoin de répondre à certaines interrogations laissées jusque-là sans réponse.
 http://www.psychologies.com
http://www.docteurclic.com/encyclopedie/la-petite-fille-et-son-papa.aspx  

Personne ne semble plus guère contester ce schéma des relations père-fille. Par contre, nombreux sont ceux qui s’intéressent à tel ou tel aspect de la problématique, à l’illustration par exemple, à l’évocation de souvenirs…

Voici quelques bonnes pages pour qui désire approfondir la question :

Fille à papa est l’histoire d’un amour unique entre un père et sa fille. Marie Claire Pauwels y traque, au-delà de l’image, la vérité sur le grand intellectuel que fut son père, Louis Pauwels, être ondoyant, complexe et attachant sous toutes ses facettes, pris dans les tourments de son temps : séducteur, poète, témoin engagé… Entrecroisant les souvenirs personnels et le parcours du personnage public, ce récit pudique et subtil trace le portrait drôle, tendre et lucide d’un père exceptionnel, tant aimé et parfois incompris. Il dit aussi la difficulté d’être la fille d’un homme dont l’ombre, à la fois pesante et réconfortante, ne vous quitte pas. Livre de souvenirs certes, mais plus que cela, ‘’Fille à papa’’ est un témoignage sincère qui éclaire la relation complexe d’une fille à son père.

« Dieu fit la fille, et l’homme l’a faite femme.  »

François Béroalde de Verville, poète et théologien du XVIIème siècle

Les pères seraient-ils coupables d’amour excessif pour leurs filles ? Les aimeraient-ils trop, ou mal, ou les deux à la fois ? Il est important d’en débattre car ils ont une influence décisive sur l’avenir de leurs héritières, sur les femmes qu’elles deviendront et sur les choix qu’elles opèreront dans leurs vies. Pour les filles, la relation au père est déterminante, et elle le restera même lorsqu’elles  deviendront épouses, mères et amantes. Il est impératif que les pères et les filles se comprennent, mais hélas, pour cela, il leur faut souvent toute une vie. Alain Braconnier prétend ici les aider pour cela et leur apprendre l’écoute les uns des autres…

 »Tu es jolie, tu es intelligente, un jour tu pourras plaire à qui tu veux, tu pourras être aimée d’un homme qui ne sera pas moi. »

Didier Lauru

Dans ce  »must » de la psychologie des relations père-fille, Geneviève Bersihand, psychologue et auteur, dresse la galerie des portraits de tous les pères : le père-dieu, le père idéal, le père-ogre, le père tendre, le père rêvé, le père incestueusement désiré, le père complice, le père haï et l’anti-père, ce qui lui permet de dresser aussi le portrait robot de la fille de ces pères-là… enfant bien-aimée, enfant sacrifiée, complice, rejetée, désirée, désirante, méprisée ou méprisante… L‘auteur étudie ensuite le processus d’évolution de la relation qui en fait ne cesse jamais tout au long de la vie d’une femme et constitue souvent même, le tronc commun de toutes les mémoires féminines…

 ’’Un petit garçon ou une petite fille qui prononce le mot “papa” devrait être certain que Papa est un héros, un preux, et un père qui n’est pas capable d’apparaître ainsi aux yeux de ses enfants n’est pas digne d’être appelé Papa.’’

Emmanuel Carrère

Des femmes connues évoquent la figure paternelle. En brossant le portrait de leurs pères, elles dessinent également le leur. Le premier homme de leur vie ? Leur père, bien sûr ! Mais de peur qu’il ne conditionne ou détruise entièrement le reste de la vie, il faut s’en délivrer, non pas en le tuant, mais en lui attribuant une juste place. Olivia Benhamou s’est entretenue avec onze femmes célèbres ou de père célèbre, qui ont pour points communs leur forte personnalité, leur engagement, leur détermination, parmi lesquelles Michèle Bernier, Mâkhi Xenakis, Héloïse d’Ormesson, Francine Doisneau, Anne Goscinny et Roselyne Bachelot. Olivia Benhamou étudie avec talent et finesse cette relation si particulière en posant des  questions qui créent un climat de grande confiance et le résultat est que toutes les  interlocutrices se sont réellement découvertes et mises à nu. Le résultat est que toutes ont livré un témoignage émouvant sur leur père, qu’il fût papa-gâteau ou papa sévère.

’’La plus sûre garde de la chasteté à une fille, c’est la sévérité.’’

Montaigne, Lettre 

’’Une femme ne se construit pas en un jour’’, car le programme est complexe et chargé : la fille doit mener de front plusieurs objectifs :

–         Devenir aimante
–         Devenir amante
–         Devenir mère

Dans cet apprentissage, l’un des piliers auquel elle s’adosse est le père. C’est lui qui évaluera pour elle, tout au long de la marche, le degré d’atteinte des objectifs. Il est en même temps l’indispensable conseil et le soutien qui va l’aider vers son avenir de femme. Mais le père n’a pas forcément l’expérience d’un amour de ce genre car d’habitude son commerce avec l’autre sexe est tout autre.  Là, il s’agit d’un lien viscéral assorti d’un impératif absolu, celui qui interdit toute sexualité. C’est même cet interdit qui détermine la qualité du lien et l’épanouissement de la fille.

Dans cet excellent ouvrage, s’appuyant sur de nombreuses histoires de femmes écoutées dans le secret de son cabinet de psychanalyste, Didier Lauru formule un des mystères de la féminité : ’’La fille devient femme sous le regard de son père.’’ ’’Ce père se trouve devant sa fille comme un sculpteur devant un bloc de pierre. Il doit anticiper la femme en devenir et l’aider à advenir. Son regard, plus ou moins valorisant, est ce qui l’autorisera à accomplir sa féminité ou, au contraire, l’en empêchera. Il sera l’homme idéal de l’imaginaire de sa fille, celui qui a posé le premier regard d’un homme sur elle, ce regard qu’elle cherchera dans ses amants futurs. Que son partenaire ressemble à papa ou qu’il soit exactement son contraire, c’est lui qui aura servi de référence. Voilà donc le père investi d’une lourde responsabilité́. Didier Lauru précise que  ’’Ce qui est compliqué pour le père, c’est de trouver ce regard qui contienne suffisamment d’amour pour permettre à sa fille d’avoir confiance dans sa capacité à séduire et de se construire comme sujet pensant, mais pas trop non plus pour ne pas l’empêcher de vivre sa vie et d’aimer ailleurs.’’

’’Mon père est encore un papa : c’est à dire il me protège.’’

Raphaëlle Billetdoux, Chère madame ma fille cadette

Quand à moi, pauvre mo’, homme qui crois avoir quelque qualité mais es sûr de n’avoir pas de fille, moi auquel un terrible dicton marocain prévoit de ce fait une fin de vie de solitude et d’abandon – ‘’De celui qui n’a pas de fille, nul ne saura même de quoi il est mort’’ – … je suis au regret de dire que mon rôle de Jeanne de Brassens au masculin me sied très bien et me comble même :

Être mère de trois poulpiquets, à quoi bon
Quand elle est mère universelle
Quand tous les enfants de la terre
De la mer et du ciel sont à elle

http://www.ina.fr/divertissement/chansons/video/I04224963/georges-brassens-jeanne.fr.html

Pour preuve, je pourrais citer à la barre deux bonnes douzaines de fleurs merveilleuses qui peuplent ma serre paternelle… Je ne les cite pas nommément de peur d’en oublier une et de lui faire mal… Mes fleurs ont tous les âges, certaines sont encore des bébés alors que d’autres sont déjà mamans…

Allez, cela ne m’empêche nullement de râler quelquefois comme un quelconque père biologique et à ce propos, je ne puis résister à la tentation de rapporter ici ce proverbe juif tellement … humain :

’’Un des plus grands mystères de l’existence est de comprendre comment le garçon qui n’était pas digne d’épouser votre fille a pu devenir le père de la plus belle petite-fille du monde.’’

Charles Aznavour, A ma fille

http://www.youtube.com/watch?v=r5Lg4QuFTeM

Ainsi donc, à la fin de ma complainte, frères humains qui avec moi vivez, écoutez la prière du pauvre mo’ qui n’a pas de fille :

Béni soit le Seigneur qui ne m’a pas donné de fille !
Béni soit le Seigneur qui a ainsi préservé ma raison !
Béni soit le Seigneur qui m’a ainsi permis de les aimer toutes !

mo’